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Image  Par Clément Ravel et Carla Roth, étudiants du Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine-PSL

L’augmentation du volume d’électricité nucléaire cédé par EDF en 2022 à ses concurrents jugée légale par le Conseil d’État

Public - Droit public des affaires
06/03/2023
Pour contenir la hausse des prix, le Gouvernement a décidé, le 11 mars 2022, d’accroître le volume d’électricité éligible au dispositif de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) qu’EDF est tenue de céder aux fournisseurs à un prix réglementé. Après s’être prononcé en référé en mai 2022 (CE, ord., 5 mai 2022, nos 462841, 463190 et 463411) le Conseil d’État juge, le 3 février 2023, que cette mesure est conforme au droit national et au droit de l’Union européenne.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris Dauphine-PSL

Le dispositif de l’Arenh et son extension

La « loi NOME » du 7 décembre 2010 (L. n° 2010-1488, 7 déc. 2010, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité) a mis en place l’Arenh (l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique) qui impose à EDF de céder une partie de sa production nucléaire historique aux fournisseurs d’électricité qui en font la demande, à un prix réglementé. En vigueur jusqu’au 31 décembre 2025, ce dispositif transitoire doit favoriser la concurrence sur le marché de la fourniture et permettre à l’ensemble des consommateurs de bénéficier de la compétitivité du parc électronucléaire français.

Dans le contexte de tensions exceptionnelles des prix de l’électricité, le Gouvernement a décidé, en vertu d’un décret et de plusieurs arrêtés, du 11 mars 2022 (D. n° 2022-342, 11 mars 2022 ; A. 11 mars 2022, NOR : TRER2203992A ;  A. 11 mars 2022, NOR : TRER2203993A , voir Arenh : fixation du volume, du prix et des modalités d’attribution, Actualités du droit, 22 mars 2022), d’augmenter le volume cédé en 2022, le faisant passer de 100 à 120 TWh, tout en ajustant son prix à 46,20 €/MWh (au lieu de 42 €).

La légalité de cette mesure était contestée par EDF, plusieurs organisations salariales et les organisations représentant les petits actionnaires.

Le Conseil d’État juge qu’elle n’est pas excessive pour atteindre l’objectif concurrentiel de libre choix du fournisseur, ne porte pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre d’EDF et ne constitue pas une aide d’État.

Compatibilité du rehaussement avec le droit interne

En premier lieu, le Conseil d’État affirme que le dispositif mis en place par les dispositions contestées s’inscrit dans le cadre législatif de l’Arenh et du pouvoir règlementaire d’application défini à l’article L. 336-10 du Code de l’énergie et n’est pas, comme le soutenaient les requérants, dépourvu de base légale, ni incompétemment pris.

En effet, la Haute juridiction rejette le moyen selon lequel il s’agirait d’un mécanisme d’achat d’électricité d’origine non-nucléaire par EDF auprès des fournisseurs pour la revente à perte de cette même électricité. Plus précisément, le dispositif institué par la mesure litigieuse repose sur une obligation imposée aux fournisseurs, de vendre à EDF, à un prix déterminé, les volumes équivalents – acquis sur le marché – à ceux cédés par EDF au titre de l’attribution de volumes d’électricité nucléaire complémentaires. Ce mécanisme n’est pas de nature à instituer un dispositif distinct de l’Arenh mais constitue uniquement un mode spécifique d’attribution des volumes additionnels alloués à titre exceptionnel. 

Aussi, le Conseil d'État retient que le dispositif ne méconnaît pas le principe d’interdiction de revente à perte posé par l’article L. 442-5 du Code de commerce, en ce que le fournisseur historique n’est pas obligé de revendre l’électricité d’origine non-nucléaire à un prix inférieur à son prix d’achat. 

En deuxième lieu, la mesure litigieuse passe avec succès le test de proportionnalité du Conseil d’État eu égard au « contexte exceptionnel » de hausse des prix de l’électricité. La Haute juridiction considère que la mesure contestée ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de liberté de choix du fournisseur et de stabilité des prix fixés par les articles L. 336-1 et L. 336-2 du Code de l’énergie. Il estime que cette mesure ne porte pas non plus une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre d’EDF au regard des objectifs poursuivis.

En troisième lieu, le Conseil d’État juge que le dispositif ne méconnaît ni l’annualité de l’Arenh ni le principe de non-rétroactivité des actes administratifs. Il retient, en application de la disposition selon laquelle, « ce que la loi n’interdit pas expressément, elle l’autorise » (DDHC, 16 août 1789, art. 5), que les articles L. 336-3 et L. 336-5 du Code de l'énergie ne prohibent pas que le volume soit augmenté au cours d’une année civile et ainsi que la période de livraison des volumes complémentaires soit aménagée et s’organise de manière infra-annuelle, du mois d’avril au mois de décembre 2022. Le fournisseur historique ne peut pas se prévaloir de l’existence d’une situation juridiquement constituée et de l’atteinte du plafond du volume d’Arenh attribué lors d’un guichet infra-annuel pour établir le caractère rétroactif du décret litigieux.

Par ailleurs, le dispositif litigieux, en ce qu’il obligerait les fournisseurs alternatifs à vendre des volumes équivalents à EDF au prix de 257 €/MWh, ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle des fournisseurs alternatifs, d’une part, et, ne méconnaît pas les objectifs d’accessibilité au parc électronucléaire français, de maintien d’un prix attractif de l’électricité et d’accroissement de la concurrence résultant des articles L. 336-1 et L. 336-2  du Code de l’énergie, d’autre part. L’attribution d’un volume complémentaire est facultative et applicable uniquement en réponse aux demandes d’Arenh des fournisseurs non satisfaites à l’issue du guichet de novembre 2021. En ce sens, les fournisseurs alternatifs sont libres de demander ces volumes complémentaires et d’apprécier l’intérêt économique d’en bénéficier. 

Enfin, le Conseil d’État retient que les articles L. 337-14 et L. 337-16 du Code de l’énergie n’empêchent pas les ministres chargés de l’économie et de l’énergie de « fixer un prix différent pour les volumes initiaux et pour les volumes additionnels d’électricité alloués au titre d’une période complémentaire de livraison ». Aussi, il rejette le moyen selon lequel le prix fixé serait insuffisant, compte tenu de l’absence de précisions permettant d’apprécier son bien-fondé.

Compatibilité avec le droit européen : le dispositif contesté ne caractérise pas une aide d’État

Le Conseil d’État s’appuie d’abord sur la décision de la Commission Européenne du 12 juin 2012 (Commission européenne, 12 juin 2012, déc. C(2012) 2559) déclarant la compatibilité des tarifs « bleus » et « verts » avec le droit des aides d’État et conditionnant l’existence du dispositif de l’Arenh à l’existence de ces tarifs avec un plafond de 100 TWh. Il retient, au regard de la suppression de ces tarifs en application de l’article L. 337-9 du Code de l’énergie issu de la « loi NOME » du 7 décembre 2010, que le plafond fixé n’est plus en vigueur et, qu’in fine, l’augmentation est, d’une part, compatible avec le droit de l’Union européenne et, d’autre part, ne nécessite pas une notification pour aide d’État à la Commission Européenne. 

Le Conseil d’État estime ensuite que le dispositif de l’Arenh ne constitue pas une aide d’État, en l’absence de décision de la Commission européenne à ce sujet alors même que cette dernière demandait dans sa décision de 2012 précédemment évoquée que le dispositif de l’Arenh soit soumis « à l’état de projet en vue de son approbation préalable ». Il se fonde sur les deux objectifs poursuivis par le dispositif de l’Arenh, c’est à dire, favoriser la concurrence en « opérant un rééquilibrage des charges entre opérateurs » au regard de l’avantage concurrentiel que constitue le monopole de fait d’EDF sur la production d’électricité nucléaire en France et stabiliser les prix eu égard aux « tensions exceptionnelles sur le marché de l’électricité ». Le dispositif ne revient pas non plus à fausser la formation d’un prix concurrentiel car l’électricité nucléaire n’est qu’une des sources d’approvisionnement en énergie des fournisseurs alternatifs.

L’avenir du dispositif de l’Arenh

L’Arenh et l’augmentation de son plafond ont des conséquences économiques importantes pour EDF. En effet, le dispositif, en soutirant une partie de la production électrique d’origine nucléaire à EDF, oblige l’entreprise historique à acheter le volume d’électricité cédé sur les marchés de gros à des prix bien plus élevés que ceux de l’électricité nucléaire. De plus, dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique, l’entreprise a enregistré un surplus important de clients au tarif réglementé dont l’approvisionnement ne pouvait pas s’effectuer via l’électricité nucléaire en raison de l’augmentation du plafond et des difficultés touchant les centrales nucléaires. Le parc nucléaire d’EDF a en effet connu de nombreuses difficultés en 2022 portant la production d’électricité nucléaire à son plus bas niveau depuis trente ans. Seulement 62,7 % de la production électrique était d’origine nucléaire en 2022 d’après RTE (RTE, Bilan électrique 2022 – Production d’électricité en France). 

Face à ces difficultés économiques, EDF a déposé le 27 octobre 2022 un recours indemnitaire devant le Tribunal administratif de Paris, après que sa demande indemnitaire auprès de l’État fut rejetée le 9 octobre 2022, dans le but d’obtenir une réparation des préjudices précédemment évoqués, estimés à 8,34 milliards d’euros.

Par Clément Ravel et Carla Roth, étudiants du Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine-PSL
Source : Actualités du droit